Marie-Paule Lesage, estampes

Depuis ses premières oeuvres étudiant la thématique du ventre et du noeud de manière relativement tourmentées, les recherches menées par Marie-Paule Lesage sur la tension et son pendant qu’est l’équilibre, l’ont amené à simplifier à l’extrême ce « noeud » cependant toujours présent.
Du ventre, de l’organisme, ne reste que le souffle : un trait, un cercle, un plein, un vide et un noeud autour duquel s’articule la respiration. Les formes deviennent géométriques mais la tension persiste dans leur rencontre : le triangle divise le rectangle, le cercle s’inscrit dans le carré, les lignes se frôlent sans se rejoindre, les angles s’opposent. Un cercle est pris entre deux fragments d’une ligne qui divise l’espace autour de lui en deux parties égales parfois colorées.
Les couleurs sont comme en tension, instables. Un bleu ou un jaune très légers laissent apparaître le blanc du papier, un orange un peu rosé, un vert qui tend au brun. Couleurs fragiles, discrètes, posées en couche très fine qui jouent avec la fibre du bois.

Extrêmement simplifiée, c’est un espace qui se dessine : l’architecture même de la feuille de papier, de sa forme gaufrée quelques fois seule présente. Un mouvement presque imperceptible d’un plein et d’un vide, d’un souffle se répète. Marie-Paule Lesage sculpte le souffle.

Dans les livres que l’artiste aime à faire en collaboration avec des poètes, ce travail sur la tension et l’équilibre est exemplaire. Loin de l’illustration, ses gravures mettent en musique la respiration du texte.
Le Mémorial pour l’Algérie reprend l’idée des gravures qui se succèdent pour donner un rythme à l’oeuvre. Juxtaposant des tirages de la même gravure puis dupliquant une nouvelle fois l’ensemble en prenant l’empreinte des gravures imprimées, toutes, avec leur infimes nuances, s’inscrivent dans un mouvement plus vaste. Chacune étant comme un balbutiement de souffle, redevenu à cette occasion complexe, noué ainsi qu’une déchirure rappelant les premières oeuvres de Marie-Paule Lesage. Mais de par leur multiplication et leur juxtaposition avec leur empreinte en miroir, l’ensemble redessine une architecture simple, une partition musicale, comme une respiration possible, un espoir de souffle, de vie à travers ce Mémorial. L’instant est douloureux mais le temps reharmonise ce qui se déchire.

Evelyne Loux