Le duo en demi-teintes
art concret et lyrisme: une exposition magnifique
à l’Institut Français de Fribourg

Les gants blancs sont prévus pour tourner les pages. Cette précaution est nécessaire pour prendre en mains les frêles travaux sur papier , les gravures sur bois et les eaux-fortes que Marie-Paule Lesage, l’artiste mulhousienne âgée de 42 ans a réalisés comme livres-objets. Depuis 1984, elle imprime sur sa propre presse dans son atelier des environs de Strasbourg des travaux pleins de retenue dans la tendance de l’art concret et les met en dialogue avec des textes choisis de poètes lyriques connus. Un duo tout en demi-teintes que l’on peut actuellement admirer à l’Institut Français de Fribourg.
Rouge comme l’amour: la cassette avec les poèmes de l’Italien Giuseppe Ungaretti s’offre au visiteur. Une joie que l’on peut laisser exploser et qui vous anime, voilà la signification du mot « Allegria » – c’est le titre du premier recueil de poèmes d’ Ungaretti qui contient des vers comme:  » Dormir – Je voudrais imiter ce pays doucement allongé dans sa blouse de neige » (1931, traduction allemande d’ Ingeborg Bachmann, Suhrkamp 1961). Un lyrisme d’une grande simplicité et musicalité – les mots de ce grand poète italien (1888-1970) qui sont comme en suspension dans l’air connaissent une deuxième version sur papier , dans l’impression gaufrée, toilée, dans le jeu de la typographie et de sa vision reflétée comme dans un miroir.
Le papier est son matériau de prédilection avec lequel elle est reliée par une sensibilité pleine de lyrisme. Elle lui pardonne quelques imperfections. Il y a toujours quelque chose qui remet en question la géométrie pure dans les droites, les segments et les cercles. Dans la reproduction de la surface poreuse et ligneuse de la plaque de contre-plaqué naissent des lignes fines qui ressemblent à de la pluie sur la surface blanche du papier. Les irritations sont voulues dans l’ abstraction géométrique.
Bleu marine comme le « timbre bleu de l’Ile Maurice » le timbre le plus prisé des philatélistes: c’est la deuxième cassette avec les poèmes de Malcom de Chazal, le poète de langue française originaire de l’île Maurice (1902-1981). Frère lyrique du peintre Gauguin dans son exil de Tahiti, il a écrit des phrases pleines de sonorités, de poésie et de simplicité dans ses « sens magiques » (1957).
« Un cristal, rond comme une boule de neige glacée » c’est avec ses mots que Michel Mercier s’enthousiasme devant le « Livre Lescure », qui contient en son coeur les textes des 12 Gnomides de Jean Lescure, le poète et critique d’art français. « Aussi légers que des plumes » dit Michel Mercier, on y trouve les textes imprimés sur papier Japon, qui mêlent intimement sens, couleur et image dans la typographie.

Et puis: 336 traces d’un rouge sang ressemblant à de petites pierres tombales ou des papillons morts prisonniers d’une épingle dans le « Mémorial pour l’Algérie » (1999) dans la grande salle d’exposition de l’Institut. Ici Marie-Paule Lesage s’exprime de façon critique dans un travail plein d’allusions contre l’oubli. Des traces du souvenir sur papier soie blanc, traces qui s’estompent de plus en plus, la peau fragile qui se retourne dans les coins comme un linceul pour les envelopper. Dans la deuxième salle des impressions sur bois de taille réduite et des eaux-fortes, lignes cassées, courbes. Constructions comme des lignes droites en biais, qui enserrent un cercle jaune, des formes circulaires ouvertes, des segments, des carrés et des triangles qui entrent en contact entre eux dans un dialogue d’une telle légèreté qu’il rappelle la parole.

Eva-Maria Schumann-Bacia

(Traduction Michel Mercier. Pour le texte original cliquez ici)